Les professionnels du digital dans notre secteur remplissent de nombreux rôles, multiples et nouveaux, pour lesquels non seulement l'expertise doit être approfondie et élargie en permanence, mais où l'on recherche constamment des solutions innovantes, de nouvelles méthodes de travail ou d'une approche plus efficace qui aide les entreprises et les clients à progresser.
FeWeb, la Fédération belge des entreprises du web, a mis en place les eXperience Labs en 2019. Il s'agit de petits groupes de professionnels du digital qui discutent de sujets importants pour eux. Patrick Marck (FeWeb) et mediarte se sont mis autour d'une table avec Anton Luyten (Esign) et Alexander Hoogewijs (SiteManager) et ont parlé de partage de connaissances et de formation dans le secteur digital en constante évolution.
COLLABORATIVE WEBDESIGN
Alexander:
“SiteManager est une solution cloud pour le webdesign grâce auquel la facilitation de la collaboration entre les différentes parties gagne en temps et en efficacité. Notre plateforme web a pour but de rendre la coopération aussi optimale que possible entre développeur, designer et client. Avec la technologie que nous avons développée, nous souhaitons offrir au client l'expérience d'un sitebuilder, mais la force du designer et du développeur doit demeurer ce qu'ils trouvent aujourd'hui dans un environnement Wordpress ou Drupal. Faciliter la collaboration avec un bureau de webdesign classique reste cependant pour nous un élément très important. Car nous remarquons qu'énormément d'agences font appel à des freelancers, nous voulons faire en sorte que les deux puissent se connecter entre eux via la plateforme cloud. Nous formons une sorte de place de marché où les freelancers peuvent se connecter avec les agences sur base des data laissées de côté par un utilisateur sur la plateforme. Nos clients restent donc propriétaires du projet contrairement à ce qui se passe dans le modèle freelance classique où tout est géré et suivi par le freelancer lui-même.”
DIGITAL CREATIVES
Anton:
“Chez Esign, l'accent est entièrement mis sur le digital, où nous ne travaillons qu'avec des personnes internes. Ce faisant, nous pouvons nous différencier quelque peu des autres agences digitales, qui comptent souvent sur leur réseau freelance. Esign se concentre principalement sur des clients qui recherchent une solution à long terme et souhaitent aussi établir une connexion permanente avec nos employés. Le cœur de notre entreprise propose des solutions digitales, réparties sur 2 piliers majeurs: d'une part pour tout ce qui concerne l'automatisation et les sites web, où le travail sur mesure est devenu notre marque de fabrique, et d'autre part tout ce qui se concentre sur le e-commerce (ici on travaille beaucoup avec Shopify, un environnement cloud spécialement développé pour le e-commerce). La dernière partie de notre travail englobe tout ce qui a trait au marketing online, allant des stratégies SEA aux campagnes sur les réseaux sociaux."
Quel est le concept derrière les eXperience Labs?
Patrick (FeWeb): “En plus de représenter nos intérêts, stimuler notre réseau pour partager les connaissances est l'une des priorités de FeWeb. Pour le faire de manière structurelle, il nous a paru intéressant de permettre que cela se produise dans des groupes ciblés. Des petits groupes de personnes qui échangent activement leurs expériences autour d'un thème spécifique au sein de la communauté digitale. Avec ces eXperience Labs, nous voulons créer un processus de partage de connaissance pour que les entreprises puissent se mettre au travail. Cela va du partage des connaissances du e-commerce, de l'organisation interne du travail jusqu'au processus de recrutement. Etant donné que le trajet est flexible, on peut anticiper suffisamment sur le partage de connaissance pour en retirer une valeur à titre personnel. Nous souhaitons permettre aux personnes de grandir, faire de ces professionnels des digital enablers. Des gens qui peuvent aider leurs propres clients (avec leurs défis) à aller de l'avant grâce à ces échanges.
"Rendre votre réseau rentable est le fondement des eXperience Labs.
Concernant les agences, nous avons réparti plusieurs groupes selon la taille des entreprises. Nous remarquons que les petites entreprises et les freelancers sont confrontés à des défis différents de ceux des plus grands acteurs du secteur. Certains thèmes se déroulent de la même manière, mais la plupart sont complètement différents. C'est pourquoi il est si important que ces personnes puissent échanger connaissances et expériences avec des collègues qui éprouvent les mêmes difficultés de croissance.”
Existe-t-il, malgré vos business models et fonctionnement totalement différents, des défis spécifiques que vous devez tous deux relever?
Anton (Esign): "Plusieurs eXperience Labs se déroulent, pour lesquels la plupart des thèmes sont librement accessibles, certainement au niveau des outils digitaux, de la performance et de la stratégie. Le thème RH demeure le thème le plus difficile à aborder. Nous devons faire face à un certain nombre de métiers en pénurie dans notre secteur, où tout le monde est à la recherche des mêmes compétences et talents. Avant, nous étions habitués à devoir rivaliser avec d'autres agences Web dans un environnement de marché relativement équitable, étant donné que nous suivions tous à peu près le même parcours en termes de défis, de ressources, de packages salariaux, etc. Aujourd'hui, la réalité est que nous devons concurrencer les entreprises, poussées par d'énormes investissements ; où nous, en tant qu'entreprise de taille moyenne dans le domaine des ressources humaines, devons mener une bataille presque inégale. La concurrence avec les grandes sociétés de software est tout simplement difficile et en même temps sensible. Parfois, vous vous asseyez autour de la table avec des entreprises pour lesquelles vous savez que leurs employés viennent postuler chez vous et vice versa. Il s'agit de problèmes concrets qui font surface dans les laboratoires eXperience ciblés."
Patrick (FeWeb): “Si nous observons le marché mondial, nous distinguons d'une part les agences digitales et les agences web qui disposent de l'expertise digitale et d'autre part les agences classiques, les agences médias et les sociétés de conseil. En raison de la baisse des revenus publicitaires, elles sont contraintes de se réinventer. Elles arrivent ainsi logiquement sur le terrain de la publicité et du marketing digital. Les budgets plus importants dont disposent ces joueurs font ici la différence. Nous parlons de piliers de concurrence se concentrant peut-être davantage sur l'élaboration de stratégies que sur la mise en œuvre opérationnelle de ces actions. Par conséquent, le déploiement des actions implique de travailler avec des agences qui ont chacune leurs propres expertises.
"Finalement, les clients deviennent également des concurrents: soit en attirant chez eux des domaines spécifiques tels que le search engine marketing, soit en créant des services digitaux qui se situent en prolongement de leurs activités commerciales, comme dans le secteur des télécommunications."
Alexander (SiteManager): “Personnellement, je ressens peu de pression par rapport au fait que de grands acteurs comme Telenet ou Proximus naviguent dans notre sillage, au contraire. Si vous jetez un oeil aux DIY-tools (Squarespace, Wix, ...) disponibles, ceux-ci représentent presque 10% du marché mondialement. Les particuliers qui créent et lancent un site web eux-mêmes à l'aide de ces outils, à moindre coût, ne sont pas un vrai groupe cible pour les agences à ce stade. Ce qui est cependant intéressant, c'est l'étape suivante. Lorsque les gens réussissent dans leur histoire et souhaitent développer davantage leur entreprise, ils dépassent naturellement ces sitebuilders. Les PME qui grandissent continuent à développer leurs stratégies digitales et ont vraiment besoin d'expertise pour cela, nous le constatons vraiment beaucoup aujourd'hui. Des acteurs comme Proximus et Telenet se concentrent principalement sur l'augmentation de leur portefeuille d'abonnements et limitent ainsi les pertes de clients, ce qui est plutôt une vision à court terme. On arrive toujours à un tournant quand les clients ont besoin d'une expertise spécifique et d'un partenariat stratégique. Je vois positivement le fait que les principaux joueurs éduquent dans une certaine mesure leurs clients sur la nécessité d'une stratégie digitale professionnelle."
Anton (Esign): “Éduquer les clients est une chose noble, mais la pression sur les prix aujourd'hui ne permet pas de comprendre clairement où se situe à présent la grande différence entre les diverses agences. Où se trouve le gros profit ou la perte d'une partie par rapport à l'autre? Si un client rencontre trois collègues avec le même projet, il reçoit trois offres qui peuvent être très fortement différer l'une de l'autre. C'est étrange à dire mais nous plaçons de plus en plus de ressources sur les sites web pour continuer à les optimiser (mobile, tablette, e-commerce etc.). Alors que tout est considéré pour acquis, il reste difficile de continuer à convaincre les clients de justifier ce (sur)coût."
Pour vraiment partager les connaissances, comment orienter le nez des 'concullègues' dans la même direction?
Patrick (FeWeb): “Si je regarde du côté des agences digitales eXperience Labs, on constate qu'il y a un point d'arrêt après une ou deux réunions. Une fois la confiance gagnée, on peut plutôt parler d'une sorte de groupe d'amis commençant spontanément à partager leurs connaissances. On se rend compte que le marché est si grand que, curieusement, il n'est quasiment pas question de "concurrence", je veux dire des pitches, des compétitions, des clients, etc. Il existe une certaine ouverture à partager certaines choses, comment s'assurer d'un flux optimal de talent, comment rentabiliser le talent, comment garantir que l'innovation provienne des talents au sein de votre organisation? Principe bottom-up donc. Tous les sujets qui inspirent les personnes impliquées, avec la prise de conscience que leur engagement et leur apport envers les Labs portent bien également leurs fruits. Par exemple, nous avons eu une session à propos des outils utilisés en interne. Le lendemain du Lab, j'ai reçu un appel téléphonique d'une entreprise croulant sous des questions de collègues qui, à cause de ce Lab eXperience, souhaitaient également acheter le même outil. Tout ceci provient du fait qu'une seule personne a pu démontrer son efficacité en temps grâce à un outil spécifique. Il s'agit donc d'apporter cet état d'esprit aux gens, de mettre cette ouverture en avant pour partager et acquérir des connaissances."
Anton (Esign): “Pourquoi ne révélerions-nous pas non plus cela finalement? Vous ne perdez ni ne gagnez aucun client en le faisant (rires). Vous obtenez également quelque chose en échange des informations que vous donnez et ça les collègues le réalisent au fur et à mesure de la progression des eXperience Labs. La situation géographique, malgré le petit et grand pays qu'est la Belgique, a un impact sur le transfert de connaissances. Vous partagez un peu plus vite avec une entreprise qui ne peut littéralement pas apparaître dans votre sillage qu'avec une entreprise de derrière le coin. Je peux difficilement le décrire, mais cela joue tout de même un rôle quand vous vous asseyez autour de la table."
Alexander (SiteManager): “Les agences digitales sont des sociétés de services. C'est avec ce service et cette expertise que vous vendez au client où vous, en tant qu'entreprise, faites la différence. La manière dont vous vous organisez et les processus que vous utilisez sont liés à l'optimisation au sein votre fonctionnement. Les bons entrepreneurs y travaillent déjà de toute façon et vous accélérez cette courbe d'apprentissage en partageant cela dans les eXperience Labs. Ceci, à son tour, signifie des résultats positifs pour l'ensemble de la communauté digitale belge. C'est aussi pour moi le message que nous devons transmettre. Devenir collectivement plus fort, donc."
Patrick (FeWeb): “Nous avons même eu des sessions sur la façon dont les offres sont détaillées, malgré le fait que cela reste sensible pour certains. Idem pour le sens (et le non-sens) de la préparation des plans annuels. Le groupe qui a participé à cette session formait en fait une sorte de conseil consultatif d'une agence ou d'une autre littéralement composé de concurrents (rires). Toutes les parties impliquées ont donné leur feedback sur le plan annuel de chacun, sur les accents spécifiques du plan, les différences, etc. Il s'agit donc vraiment d'une forme de maturité, de confiance qui doit se grandir au sein d'un groupe de personnes donné. La grande plus-value refait surface après quelques séances, qui ne peuvent être remplacées par aucune "formation classique". Vous apprenez d'un point de vue stratégique commercial et cela vaut de l'or."
De quelle manière appréhendez-vous au sein de l'entreprise la nécessité de formation permanente?
Anton (Esign): “À partir de l'an prochain, nous implémenterons un budget événements chez Esign, en plus du budget formation. Nous souhaitons vraiment que nos employés suivent des formations et c'est pourquoi nous voulons séparer les deux. Les séminaires et les conférences ont souvent un effet très inspirant, mais vous ne vous formez pas en profondeur à de tels events... Nous attendons un input de nos employés afin qu'ils apprennent constamment, dans certains domaines d'expertise. Cela témoigne d'un engagement et d'une motivation qui rendent l'entreprise meilleure."
Alexander (SiteManager): “Les besoins en formation apparaissent grâce au partage d'expérience. A partir d'un eXperience Lab, vous pouvez apprendre comment aborder un processus spécifique, obtenir une approche que vous pouvez utiliser pour traduire cela en une formation ciblée online, ou plutôt "traditionnelle" par des experts. En soi, "l'organisation de formations" représente un défi majeur pour le secteur digital en Belgique. Vous vous retrouvez souvent avec des canaux et des prestataires de formation plus classiques, se situant souvent à la traîne du secteur. La concurrence émerge de platesformes digitales de haute qualité comme Coursera et Udemy. Peut-être est-ce une idée de réfléchir à partir de FeWeb et de mediarte sur la manière dont nous pouvons embrasser cela, éventuellement mettre en place une initiative locale. En fin de compte, nous possédons cette connaissance en interne, mais elle est énormément distribuée parmi les freelancers. Si nous pouvons apporter cette expertise aux agences, nous allons vraiment dans la bonne direction. Chez Sitemanager, nous utilisons Coursera et Udemy. Là, les employés trouvent des connaissances qu'ils n'acquièrent pas dans l'enseignement supérieur. Pour nous, il va de soi d'apprendre via des modules vidéo orientés."
Anton (Esign): “Je ne trouve pas non plus problématique que les anciens élèves ne soient pas complètement à jour avec les dernières technologies. En tant que recruteur, vous pouvez parfaitement comprendre qui est passionnément impliqué dans la profession et dégage un désir et une vraie envie d'apprendre. Souvent, ces personnes suivent des cours de leur propre initiative, online, et témoignent ainsi qu'elles suivent aussi effectivement les dernières tendances dans leur domaine. La volonté et le drive d'apprendre en permanence sont absolument cruciales pour nous. Cependant, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que chaque établissement d'enseignement délivre un profil parfait pour le marché du travail, ce serait utopique. C'est pourquoi la formation permanente est la clé pour évoluer vers une carrière durable."
Comment garder à bord les talents recherchés dans un secteur qui croule sous les métiers en pénurie?
Patrick (FeWeb): “Par la pression du marché du travail, où Gand génère néanmoins un pool numérique important, nous constatons que cela a bien un impact sur la loyauté des collaborateurs au sein des agences. Certaines entreprises construisent des hubs dans d'autres villes pour attirer des talents supplémentaires."
Alexander (SiteManager): “La vision commune, l'objectif que vous visez en tant que dirigeant d'entreprise, est extrêmement important dans le contexte de la rétention. Un employé retient l'ADN de l'entreprise et nous le ressentons très fortement. SiteManager fait bien sûr partie d'un modèle Saas (Software as Service), ce qui signifie que les gens chez nous construisent un produit commun avec nous, soutiennent un objectif commun unique. Vous sentez que les gens veulent aider à développer ce produit. Nous nous différencions en ce sens des agences plus axées sur le client et où il y a logiquement plus de flux. La pression interne est totalement différente."
Anton (Esign): "Peu importe la façon dont vous le tournez, cela revient toujours à trouver des personnes qui veulent avancer ou partager l'ADN des projets. Les talents dans le secteur digital ont beaucoup d'options pour débuter et deviennent de plus en plus exigeants chaque jour. Je suis convaincu que les bons projets et les bons clients qui correspondent à l'état d'esprit des talents, sont encore toujours décisifs pour garder les talents à bord."