Claire Dixsaut est écrivaine et scénariste. Par le passé, elle a notamment travaillé dans le secteur de la diffusion pendant 10 ans pour Canal+ et Time Warner. Depuis 23 ans, elle enseigne le pitch. Elle forme les scénaristes, les réalisateurs.trices, producteur.trices de l’audiovisuel, du cinéma, du multimédia et de l’édition.
De passage à Bruxelles en tant qu’intervenante lors du Screenwriter’s day au BRIFF, nous en avons profité pour l'interviewer.
Quel a été votre parcours professionnel ?
Claire: "Concernant mon parcours professionnel, je viens de la télé. J'ai été diffuseur pendant plus de 15 ans. J'ai commencé chez la Sept-Arte, puis j'ai continué chez Canal+ France. Après, j'ai pris la direction des coproductions internationales de Turner, qui est une filiale du groupe Time Warner aux États-Unis. À la suite de quoi, je suis passée dans le secteur de l’internet. J'ai été la première directrice des contenus internet de Microsoft France. J'ai monté une boîte de production et de distribution de contenu web. Ensuite, je suis devenue rédactrice en chef de la Gazette des Scénaristes, un magazine écrit par des scénaristes pour des scénaristes. Et aujourd'hui, je suis écrivaine et scénariste. Cela fait 23 ans que j'enseigne le pitch, 23 ans que je forme au pitch les professionnels de l'audiovisuel, du cinéma, du multimédia, de l'édition et, depuis peu, de l'industrie lourde."
Quel est l'élément qui vous a amené à donner des formations au pitch ?
Claire: "Qu'est ce qui m'a amené à ça ? Le fait que je ne sais pas pitcher et le fait que je suis plus que timide, je suis autiste. J'ai été diagnostiquée du syndrome d'Asperger. Ce qui signifie que les rencontres sociales et la prise de parole en public sont pour moi d'une difficulté et d'une douleur physique et morale absolument dramatique. Quand j'étais diffuseur et que ma chaîne m'envoyait dans un festival pour rencontrer des producteurs et des porteurs de projet, j’avais plus le trac qu’eux. Il a fallu que je surmonte ça, forcément. Je pars de très, très loin. Je pars de beaucoup plus loin en général que les participants à la formation. Donc, je sais comment ça se surmonte."
"Quand je suis arrivée aux États-Unis, on m'a dit: “Tu vas devoir présenter ton bilan tous les trois mois devant 400 personnes.” Et là je me suis dis : “Au secours !”. On m'a envoyé en formation et ça allait déjà mieux. À Microsoft, on m'a envoyée dans d'autres formations et j'ai commencé à composer les bases d'une méthode pour parler en public quand on ne sait pas le faire."
"Il y avait beaucoup de méthodes pour prendre la parole, mais en général, l’exercice qu’on nous donnait, c’était de réciter un discours au mariage de sa soeur. Le pitch, c'est différent. Le pitch professionnel dans les conditions de l'audiovisuel, du cinéma, ce n'est pas de prendre la parole en réalité, c'est de convaincre. Convaincre un interlocuteur de participer à votre projet. Et ça, ce n'est pas la même chose que de monter sur une scène et de réciter un discours."
"Donc, j'ai composé, petit à petit, des méthodes différentes selon les cultures : pour le pitch en France ou en Belgique, et pour le pitch aux États-Unis. Et, par hasard, un jour, une collègue qui dirigeait le master troisième cycle à l'INA, l'Institut National de l'Audiovisuel (en France), m'a demandé de remplacer au pied levé un collègue qui s’occupait de la formation au pitch. J'étais très étonnée qu'elle me le demande à moi. J'ai bricolé un support de cours en deux temps, trois mouvements et 23 ans plus tard, me voilà."
Et donc, plus concrètement, durant cette formation, aidez-vous les scénaristes à pitcher aux producteurs ? Les producteurs à pitcher aux plateformes ?
Claire: "Je forme des scénaristes, des réalisateurs, mais aussi des producteurs, des diffuseurs et des distributeurs. Donc, toujours dans le cas de : ‘je porte un projet et j'essaye de le vendre, de le coproduire, etc.’ La formation que je dispense, c'est pour l'ensemble des interlocuteurs. Si vous êtes scénariste, il va falloir convaincre des producteurs. Il va peut-être falloir convaincre des diffuseurs. Ça dépend des pays. En France, c'est rare que les scénaristes de fiction aillent en rendez-vous diffuseurs. Mais il s'agit aussi pour des réalisateurs de convaincre des producteurs et des producteurs de convaincre des diffuseurs.
"Il s'agit de s'adapter et évidemment, je prends en compte tous les interlocuteurs. J'adopte la méthode au coup par coup. Il y a toujours une part de sur-mesure. De toute façon, dans notre métier, il n'y a jamais un truc qui marche à tous les coups. C'est toujours de la négociation et du cas par cas."
Donnez-vous des formations spécifiques pour pitcher aux plateformes de streaming ?
Claire: "La formation pour les scénaristes n'est pas spécifique aux plateformes. Par contre, il y a des techniques qui sont spécifiques aux plateformes de streaming, et bien sûr je les inclus dans la formation. Bizarrement, c'est plus facile en réalité, puisque Netflix, par exemple, communique énormément sur ce qu'ils attendent précisément d'un pitch, quasiment ligne à ligne. Je n’ai qu’à recopier ce qu'ils disent. Si on cherche un peu, ces informations sont disponibles sur internet. C'est très facile à trouver."
Qu'est-ce qui va éveiller l'intérêt lorsque l'on pitche pour une plateforme de streaming ?
Claire: "Ce qui va attirer l'attention d'un diffuseur sur un projet, quel qu'il soit, c'est le fait que le projet corresponde à leur politique éditoriale et le fait que le pitch soit efficace. Correspondre à la politique éditoriale d'un Netflix ou d’un Amazon, ca, c'est le boulot du scénariste et du producteur. J'insiste sur le producteur parce que Netflix, par exemple, a fait savoir que si le projet n'était pas accompagné d'un producteur, il n’ouvrait pas l'enveloppe. Et c'est le cas aussi de beaucoup de plateformes et diffuseurs de studios d'origine américaine. Ils sont pétrifiés à l'idée d'être poursuivis pour plagiat, notamment. Donc, la première chose quand on va pitcher à une plateforme de streaming, c'est d’avoir un producteur."
Ce qui va attirer l'attention d'un diffuseur sur un projet, quel qu'il soit, c'est le fait que le projet corresponde à leur politique éditoriale et le fait que le pitch soit efficace.
"Après, qu'est ce qui est spécifique ? Faire un pitch de bonne qualité. Par bonne qualité, chez Netflix pour la fiction, on entend plusieurs choses. On entend d'abord être extrêmement concis. Un pitch oral (je ne parle pas du pitch deck, qui est le document pitch), si ça dépasse le quart d'heure, vingt minutes, ça ne va pas du tout. En réalité, un bon pitch, c'est entre sept et dix minutes. Ensuite, il faut mettre en avant tout de suite ce qui est la force du projet, c’est-à-dire le conflit central. Le protagoniste avec une notion de son arche, sa courbe d'évolution. Il faut également raconter pourquoi on pense qu'il faut faire ce projet maintenant. Ça, ça va être le début du pitch. Je ne vais pas entrer dans tous les détails du pitch car c'est très spécifique. Mais encore une fois, les infos sont trouvables en ligne."
"Netflix, c'est très précis. Ils disent clairement quel type de sujet les intéresse. Et particulièrement, ils rappellent qu'ils sont une plateforme commerciale et qu’ils ne vont donc pas accrocher à des sujets trop niches. Ils cherchent des sujets brûlants, des sujets d'actualité, des sujets forts qui ne sont pas traités ou pas encore traités par des diffuseurs classiques. Donc, une des règles qui me semble marquée au coin du bon sens, c'est que si c'est bon pour la RTBF, ce n'est pas la peine d'aller proposer à Netflix. Bien bosser la ligne éditoriale de son interlocuteur, c'est une clé."
Quelles sont les erreurs les plus courantes faites par les scénaristes lors du pitching ?
Claire: "Je crois que l'erreur la plus courante, c'est d'essayer de tout raconter. C'est de raconter du scène à scène, séquence par séquence. C'est d'essayer de donner une vision globale de l'histoire. Ce n'est pas du tout l'objet d'un pitch. L'objet d'un pitch, c'est de convaincre. Ce n’est pas de raconter. Ce qu'on peut suggérer à quelqu'un qui va pitcher, et en particulier à Netflix, c'est de résumer son programme, son film en une phrase d'accroche, trois paragraphes. S’il y arrive, alors on dira, ‘vas-y dis m'en plus’, ou ‘entre dans les détails de ton projet’. Si c'est une série, de la même façon, ça n'a aucun sens de raconter tous les épisodes, ni même d'entrer dans le détail du pilote. On veut une grande arche dramatique sur l'intrigue du pilote, on veut du matériel sur les personnages. Il faut que ça soit dirigé par les personnages. On veut également des éléments sur le conflit central, sur le déclencheur, ce qu'ils appellent le catalyseur chez Netflix. C'est-à-dire les contraintes et les événements qui ont fait que le personnage se retrouve dans cet état-là au début de l'intrigue."
"En réalité, tout ça, c'est de la technique de scénario. Donc, avant tout, si on n'a jamais suivi des cours de technique de scénario, il faut s'acheter un bon bouquin. Pour avoir des bases de technique et repasser tout son projet au crible des protagonistes, enjeux, obstacles et des éléments techniques fondamentaux, c'est probablement un gros gain de temps."
Lesquels conseillez-vous ?
Claire: "Il y en a plein, mais il y en a deux que je conseille particulièrement, et que je conseille dans cet ordre. Si on n'a jamais lu un bouquin de technique et qu'on n'a jamais pris un cours, je conseille le livre de Linda Seger, qui s'appelle en français ‘Faire d'un bon scénario un scénario formidable’. Le livre est extrêmement accessible. Il faut revoir quelques grands classiques dont elle parle, comme African Queen, Le silence des agneaux,... Son bouquin, c'est un boulevard. C'est vraiment un guide pour dire ce qui est important dans l'écriture du scénario et donc ce qui va être important dans le pitch. Une fois qu'on a lu cet ouvrage-là, on peut passer à Christopher Vogler avec ‘Le guide du scénariste’."
Quelles sont les astuces pour bien gérer son temps de parole pendant un pitch ?
Claire: "D'abord, se donner moins de temps qu'on ne vous en donne. Je suis affligée de voir que dans certains festivals, on donne un quart d'heure, vingt minutes à des scénaristes. Netflix dit également un quart d'heure, vingt minutes. Moi, je dis non. Le cerveau humain a une courbe d'attention courte qui fait que pendant 5 à 6 minutes, il enregistre bien les informations. Après ça, il fatigue, il décroche et il y reviendra un peu plus tard. Il faut s’imposer un cadre beaucoup plus court soi-même."
"Ensuite, répartir son pitch sur à peu près deux tiers d'éléments de récit et un tiers de motivation. Par lettre de motivation, on entend : pourquoi je veux faire ce projet aujourd'hui ? Pourquoi je pense que c'est un projet qui doit être fait ? Pourquoi je vous ai choisi, vous, producteur ou diffuseur ? Quel est l'état du projet ? Et, quelles sont les personnes clés ou les talents associés au projet ? Et ça doit suffire. Ça, c'est une astuce pour le temps."
Il faut donner assez de temps pour camper un protagoniste en images et en action, c'est-à-dire avec des éléments de caractérisation visuelle.
"Une autre astuce qui va paraître bizarre, c'est de parler lentement. Plus on est stressé, et plus on est stressé par la montre en particulier, plus on a tendance à parler vite en se disant : il faut que je donne un maximum d'informations pour qu'on voit bien tout ce qu'il y a de bien dans mon projet. Ce n'est pas le but du pitch du tout. On veut voir certains éléments et les voir de façon super lisible, super clair et voir à quel point ils sont forts. Par exemple, quand on est sur un long métrage, on coupe toutes les intrigues secondaires, on coupe tous les personnages secondaires ou tous les personnages qui n'auront pas d'impact sur l'intrigue qu'on va pitcher. Si notre personnage principal est une jeune fille de 32 ans qui habite encore chez ses parents, les parents ne sont pas forcément utiles à l'intrigue telle qu'on va la pitcher. Ils seront intéressants dans le film, il y aura des séquences secondaires, mais on n'a pas besoin d'avoir 10 secondes sur les parents."
"En revanche, on prend du temps sur le ou les protagonistes. Il faut donner assez de temps pour camper un protagoniste en images et en action, c'est-à-dire avec des éléments de caractérisation visuelle. Et, la première fois qu'on le voit, il doit être en train d'effectuer une action qui nous parle de son problème, de son conflit intérieur ou de son conflit extérieur. Si on ne prend pas le temps de faire ça la première fois qu'on introduit le protagoniste, on n'accroche pas l'attention. Et si on n'accroche pas l'attention, on peut parler pendant un quart d'heure, les gens ne vont pas vous suivre." "Donc, donner plus de temps sur les premières séquences. Bien installer le protagoniste, montrer le conflit intérieur, le conflit extérieur et de là, on déroule assez rapidement."
Un dernier conseil à donner aux scénaristes débutants ?
Claire: "Une remarque, en tout cas : l'aisance à l'oral n'a rien à voir avec la qualité de votre pitch. Rien. Et je sais que quand on est scénariste, on n'a pas beaucoup l'habitude de prendre la parole. On ne vous prend pas vous, scénaristes, pour des comédiens. Ce n'est pas du tout le but. Ce n'est pas votre aisance à l'oral ou le plaisir que vous aurez sur scène qui va changer quoi que ce soit. C'est l'intérêt qu'il y a dans votre pitch." "À défaut de vous faire confiance, si vous n'avez pas confiance en vous, faites confiance en votre projet. Ayez confiance dans la qualité du projet, c'est ça qui va vous sauver. Concentrez-vous sur le fait de choisir quelques points forts du projet et prenez le temps de bien les mettre en valeur." "Un bon pitch, ce n'est pas un exercice de rhétorique bien réussi. Un bon pitch, c'est quand, à la fin du pitch, on vous dit ‘oui, ça m'intéresse, je veux bien en savoir plus ; envoie-moi la continuité dialoguée’ ; ou ‘envoie-moi le dossier’. Ce n'est pas l'exercice de rhétorique qui doit être réussi, c'est la mise en valeur des points forts du projet. C'est là dessus qu'on se concentre, et ça, normalement, puisqu'on écrit, on sait faire."