Julie Moraglia, chargée de développement chez Climax Films et scénariste, nous fait part de son expérience et partage ses conseils pour réussir son pitch.
Quel a été ton 1er pitch ?
Julie: "Mon 1er pitch, c’était face à France 4. J’étais accompagnée du président de ma boite, une société de production, et d’un producteur star de la société. C'était un saut dans le grand bain, j’étais très intimidée. J’avais beaucoup d’expectatives, il s’agissait d’un programme que j’avais moi-même développé. Globalement, ce n’était pas une réussite... J’étais très consciente de mon âge, de mon inexpérience. En soi, ces éléments-là ne m’ont pas porté préjudice. C’est plutôt la pression qui en a découlé, et qui m’a déforcée. Malgré tout, la directrice de France 4 a été très patiente et aidante. Mon programme n’a pas été vendu, j’étais déçue. Mais j’ai surtout pris l’expérience comme une bonne leçon à retenir pour les prochains pitchs."
"En sortant du rendez-vous, le producteur, dans toute sa bienveillance, m’a donné quelques conseils. Conseils que je n’ai pas nécessairement appliqués, étant donné l’écart générationnel dans la façon de pitcher. Il me conseillait notamment de pitcher en donnant plus d’exemples de scènes."
"Aujourd’hui, on ne développe pas en pensant par scènes, surtout en production de télé. Le pitch doit démontrer la durabilité du projet, la densité de la narration: est-ce que le véhicule narratif est en bonne santé, va-t-il tenir la route jusqu’au bout du film ? Les idées de scènes ne sont pas très utiles dans la phase de développement. Selon les profils, elles ont même tendance à témoigner d’un côté papillon dans l’écriture, et ce n’est pas du tout ce qu’on recherche aujourd’hui chez un scénariste, que ce soit en séries, pour tous les modules sériels (podcast etc), et aussi pour certains longs-métrages, surtout les longs-métrages commerciaux."
"Certains détails de scènes peuvent être utiles dans le cadre de la discussion, distillés de façon légère pour exprimer la personnalité, l’unicité du projet. Surtout dans les comédies. Dans les genres extrêmement codifiés, comme les thrillers, les polars, c’est beaucoup moins utile."
Garder une trame très claire, c’est la meilleure façon d’arriver en confiance au moment du pitch, c’est le meilleur moyen de ne pas se perdre.
As-tu connu un vrai moment de gloire en tant que pitcheuse ?
Julie: "J’en ai eu deux ! La première fois, je pitchais une série que j’avais développée. Mon interlocutrice était Anne Holmes (1), à l’époque directrice de la fiction de France 3 ! J’étais également accompagnée du président de ma société, et d’un autre producteur phare. Cette fois, j’étais surpréparée. J’avais appris mon pitch par coeur. Pour être précise, je n’ai pas récité, pour garder un peu de spontanéité, mais je savais très exactement les points que je voulais aborder, et dans quel ordre. Je m’étais préparée en pitchant à voix haute, toute seule chez moi. A la fin de mon pitch, Anne Holmes m’a félicitée sur mon pitch, et m’a dit qu’il avait répondu à toutes ses questions. J’étais très fière !"
"La deuxième fois, c’était au MIP, il y a environ trois ans. J’étais chargée de développement chez Entre Chien et Loup. Je pitchais à deux acheteurs de chez Sky Vision,
qui est la branche de distribution du groupe Sky. On avait une petite plaquette des projets en développement chez nous. J’ai pitché chaque projet l’un à la suite de l’autre, en anglais. Les acheteurs ont apprécié mon pitch, l’ont trouvé extrêmement clair. J’avais assuré ! La préparation permet d’arriver extrêmement détendu, de pitcher sans enjeu émotionnel."
(1) Anne Holmes est actuellement directrice de la fiction pour France Télévisions.
Que retiens-tu de ces expériences ?
Julie: "Préparer à fond la trame, tout en gardant un élément de spontanéité. Garder une trame très claire, c’est la meilleure façon d’arriver en confiance au moment du pitch, c’est le meilleur moyen de ne pas se perdre, et de reprendre le fil de sa pensée si la personne vous interrompt. Mais avoir face à soi quelqu’un d’hyper tendu, qui parle sans s’arrêter, c’est très gênant."
Répètes-tu seule ou devant un public ?
Julie: "Je suis mon propre public. Je parle à voix haute, un peu comme Flaubert (rires). Les bouts de phrase qu’on a dans sa tête ne fonctionnent parfois pas, une fois exprimés à voix haute : les syllabes ne sortent pas, l’intention n’est pas claire. Répéter à voix haute permet de travailler l’élocution, l’articulation, plus encore dans une langue étrangère. S’entraîner pour faire plusieurs versions, cela permet de mobiliser plus de vocabulaire, de synonymes, pour encore une fois avoir un discours qui est naturel, spontané, et vraiment clair, sans bafouillages. Si on commence à chercher un mot, un bout de phrase, on perd vite le fil."
As-tu connu de gros ratages en tant que pitcheuse ?
Julie: "Les gros ratages, j’ai essayé de ne pas m’en souvenir. Ils n’ont probablement pas eu d’impact énorme. Je n’ai jamais été dans une situation de pitcher devant un groupe de personnes, avec des enjeux extrêmement élevés, en n’étant pas prête. Donc ce premier pitch m’a bien servi de leçon !"
"Après, les seuls ratages que j’ai connus, c’était plutôt dans la défense. L’échec venait du projet, pas du pitch. Si on n’est pas convaincu à 100% par le projet, ou que le développement n’est pas assez approfondi, si l’interlocuteur pose une question pour laquelle on n’était pas préparé, ça peut vite devenir le festival de la bafouille, du bluff. Ce sont des situations vraiment désagréables ! C’est pourquoi il ne faut jamais pitcher un projet trop tôt. Quand on n’a pas encore ses tenants et aboutissants. Il y a toujours une personne perspicace qui va renifler les contradictions, les erreurs, les bidouillages, les bouts de scotch mis pour faire tenir la narration. Ça peut faire tomber le château de cartes."
"Autre conseil, il ne faut jamais y aller en défaitiste, ni annoncer d’emblée de jeu : “je n’ai pas bien réfléchi à tout, mais...”. Il vaut mieux rétorquer à une question imprévue : “c’est très intéressant, je n’y avais pas pensé, je le note, ça va nourrir ma réflexion”. C’est la meilleure porte de sortie. Toujours montrer de la confiance ! Pitcher un projet dans lequel vous n’avez pas confiance, ça ne fonctionne jamais."
Quelles sont les expériences qui ont forgé ton idée actuelle d’un pitch réussi ?
Julie: "Ce n’est pas tant mes pitchs, que les pitchs que j’ai reçus. J’en ai reçu beaucoup. J’en ai tiré énormément de leçons sur le pitch, en réalisant à quel point c’était plus agréable d’écouter pitcher une personne à l’aise, qui raconte une histoire, dans laquelle on a envie de rentrer soi-même.
"Si la personne n’arrête pas de parler, cela témoigne d’un vrai manque de confiance, d’une relation de travail qui risque d’être compliquée : on va être dans le rôle de la baby-sitteuse, de la maman, de devoir rassurer. Même s’il y a toujours cet aspect dans la relation entre un producteur et son auteur, quand c’est exacerbé, c’est très désagréable, Autre cas de figure, une personne qui n’arrête pas de parler, qui a les réponses à tout, vraiment tout, dévoile un manque de place pour la collaboration. Une personne ouverte, qui se laisse interrompre, permet d’engager une conversation : elle rigole à une petite blague, elle fait elle-même une petite blague, on se trouve des références communes, on sent qu’un partenariat peut se créer, une complicité. Ça donne vraiment envie de collaborer. Si on a envie d’aller boire un verre avec toi après le pitch, le pari est réussi.
"Pitcher en marché, c’est extrêmement compliqué. Tu enchaines huit à dix rendez-vous sur la journée. Les rendez-vous sont des boulets de canon de 15 minutes. Tu passes ta journée à passer d’un coin du palais du festival à un autre. Dès que tu arrives, tu dis bonjour, et c’est parti. En général, tu as au moins 4 projets différents à pitcher avec l’intention d’assurer une vente. Ou tout au moins, de montrer le mieux possible ce dont tu es capable en tant que producteur : tes ambitions, tes envies pour le futur, tes ouvertures à une collaboration, avec un pays étranger qui peut être le Japon, la Turquie. Le pitch doit être hyper efficace, clair, droit au but. Il faut être en confiance aussi, et à un niveau d’énergie qu’il faut soutenir à 3000%. Ça m'a appris à cibler les informations que je choisis de donner, en fonction de l’interlocuteur.
"C’est bien d’être en duo avec son collègue ou son co-auteur, et de créer une vraie dynamique. Ça permet d’apporter du dynamisme et de la vie dans le pitch, et justement de donner une petite base à la conversation pour que la troisième personne puisse s’y insérer."
Comment voudrais-tu conclure ?
Julie: "Il faut croire en soi, croire en son projet, être préparé. Se concentrer sur l’anticipation des besoins de l’autre. Quand on pitche à un producteur, il faut donner
la fin, c’est hyper important. Quand on pitche devant une assemblée, il faut captiver : faire monter la tension, donner la fin à la fin, utiliser ce petit côté conteur."