Entretien avec une réalisatrice et scénariste: Vania Leturcq

Vania Leturcq

Vania Leturcq, scénariste et réalisatrice, est de retour cette année avec la nouvelle série RTBF Pandore, qu’elle a coécrite avec Savina Dellicour et Anne Coesens. Retour sur le parcours d’une passionnée des acteurs …

Vania, comment en es-tu venue à faire du cinéma ?

Vania Leturcq : Au départ, ma passion, c’était les acteurs. Je ne voulais pas devenir actrice, parce que c’est un métier où il faut s’abandonner, devenir l’objet du désir et de la volonté de l’autre. Cette perte de contrôle me faisait peur et me mettait mal à l’aise. Puis, un jour, j'ai lu un livre sur François Truffaut et j'ai découvert le métier de réalisateur. Je me suis retrouvée dans son espèce d’amour inconditionnel des acteurs, et je me suis dit : « c’est ça que je veux faire ! ». J’ai annoncé à mes parents que je serai réalisatrice et j'ai commencé à me renseigner sur les écoles de cinéma. À ce moment-là, je n'avais aucune notion technique, et je n’avais pas vraiment de fascination pour la mise en scène. C’était vraiment les actrices et les acteurs qui étaient au cœur de ma passion. Ensuite, j'ai commencé à regarder les films autrement.

Ces années d’études ont été une sorte de mise à l’épreuve de cette première intuition, de ce désir dont je ne savais finalement pas grand-chose. Ça aurait pu ne pas marcher du tout. D’ailleurs, l’école n’a pas été un passage évident pour moi. Je n’y étais pas très épanouie parce que je m’y suis pas mal cassé les dents. J’avais mon désir, mon intuition, mais vraiment zéro connaissance, et surtout, j’avais seulement 17 ans. Pour moi, tout s’est confirmé quand j'ai commencé à travailler sur des films en tant qu’assistante réalisatrice. Dans la foulée, j’ai réalisé mon premier court-métrage. Et là, j’ai vraiment compris que c’était ça que je voulais faire, que j’étais heureuse sur un plateau.

Et ensuite, quel a été ton parcours jusqu’à aujourd’hui ?

Vania : Après l’école, pendant cinq ou six ans, je travaillais en alternance comme assistante réalisatrice sur des films, et à côté j’essayais de monter mes projets personnels. Je travaillais sur les films des autres pour l’expérience, et pour gagner de l’argent — même si finalement je travaillais beaucoup sur des projets à petit budget, donc je n’en gagnais pas tellement. Quand il y avait moins de travail, je me consacrais à mes propres films, des courts métrages et des documentaires. Après cette première période, vers 27 ans, je me suis consacrée pleinement à mon premier long-métrage. Il est sorti trois ans plus tard, et depuis je n’ai plus travaillé sur les films des autres.

Je travaillais sur les films des autres pour l'expérience [...]. Quand il y avait moins de travail, je me consacrais à mes propres films.

VANIA LETURCQ

Peux-tu nous parler de ta première expérience de long-métrage? Comment as-tu vécu cette expérience ?

Vania : C'est un film que j'ai commencé à écrire à 24 ou 25 ans, et que j'ai tourné quand j'en avais 30. Quand il est sorti, j'en avais 32. J'ai l’impression de l'avoir porté pendant presque dix ans de ma vie. Ça s'appelle L'année prochaine. C’est une histoire d'amitié entre deux jeunes filles de 17 ans qui vont passer leur bac, et doivent décider ce qu'elles veulent faire l'année suivante. Ça parle de ce moment charnière que je trouve hyper compliqué, quand très jeune, on te demande de faire un choix d'études qui est en même temps un choix de vie assez conséquent. Ce moment où on te demande de savoir ce que tu veux faire, alors qu’en fait, tu ne sais même pas qui tu es, ni ce que tu veux. C’est une histoire personnelle qui m’a inspirée pour le scénario.

J’ai développé ce film pendant de longues années. J'écrivais d'abord toute seule, et puis j'ai travaillé avec un co-scénariste sur les deux dernières années, ce qui était une bonne chose. L'expérience du long, j'ai adoré, parce que je suis super heureuse sur un plateau. En ça, c'est dur d'être réalisatrice, parce que finalement la proportion de travail de pure réalisation est minime par rapport au reste — alors que c'est le moment du processus, où, personnellement, je me sens le mieux. D’ailleurs, la série Pandore m’a permis de réaliser sur une longue durée, c’est une chance.

A postériori, même si j'ai super bien vécu le tournage de L’année prochaine, il y a certaines choses que je ne referais plus aujourd'hui. J’étais à un moment de ma vie où le cinéma, c’était toute ma vie­ — et je considérais qu’il en allait de même pour toute l’équipe. Je n'avais pas d'enfants à l’époque, et les personnes de mon équipe non plus. On pouvait se permettre de travailler jour et nuit. Moi, je dormais 4h par nuit, je ne faisais que bosser. Je ne comprends pas aujourd’hui comment j'ai résisté à une fatigue pareille. Maintenant, je me dis qu’il ne faut plus jamais faire ça : il faut laisser rentrer la vie et pas tout faire dans le sérieux le plus total. Je crois que je faisais encore un peu les choses dans la douleur, et je manquais d’autodérision. Mais quand c'est ton premier long, tu te mets une pression de dingue ! Bref, ça reste une super expérience et un film dont je suis très fière et que j'aime beaucoup. Mais je vois que j'aurais pu me détendre un peu plus, ça n'aurait fait de mal à personne.

C'est dur d'être réalisatrice, [...] la proportion de travail de pure réalisation est minime par rapport au reste, alors que c'est le moment du processus, où je me sens le mieux.

VANIA LETURCQ

Et sa sortie, comment l’as-tu vécue ?

Vania : Ça par contre, je ne l’ai pas bien vécu. Avoir porté un projet pendant tellement d'années pour qu’il reste à peine cinq jours en salle, c’est difficile à avaler. Si tu n'es pas préparé à ça, tu te dis : « Tout ça pour ça ! ». Tu fais limite une dépression ! Et le marché du film est tellement difficile. Ça dépend de toi, et en même temps pas du tout. Le fait que ton film soit pris ou pas dans un festival important, dans la bonne compétition, repéré ou pas, que les programmateurs de salles en aient entendu parler, ça, ça ne t’appartient pas. Je n’ai pas eu un parcours en festival foisonnant, même si j'en ai fait de très chouettes comme Montréal ou Premiers plans à Angers par exemple, il n'y a pas vraiment eu de mise en lumière du film. Donc pendant un an, j’ai accompagné le film en festival et c’était l’occasion d’en parler et d’en discuter avec le public, mais au bout d'un moment, tu t'essoufles un peu. Et puis d'un coup, il y a la sortie du film, et cinq jours après, c'est fini. Et là, on t'appelle le lendemain de la sortie pour te dire que les chiffres sont hyper mauvais. Et toi tu te dis : « Ben oui, les chiffres sont hyper mauvais! On est sortis le 24 juin en même temps que Jurassic Park, et il n’y avait aucun budget pour la distribution ! ». Je collais les affiches moi-même dans Bruxelles.

Du coup, pendant un temps, je me suis demandée si tout ça avait servi à quelque chose, et si ça valait vraiment la peine de dépenser autant d'énergie, de passer presque dix ans de ta vie sur un projet de film. Mais ensuite, tu te reposes, tu relativises, tu te dis qu'un film ne vit pas que sur les cinq jours pendant lesquels il est en salle. Il continue à vivre après. Des gens le voient. Moi, ça m'a nourrie de mener ce projet jusqu’au bout. Aujourd’hui, c'est encore un film que je suis fière de montrer. Et depuis, il y a eu l'expérience du collectif avec Savina (Dellicour) et Anne (Coesens), et l’écriture de la série Pandore. Et ça, ça a été une bouffée d'air frais. C’est tellement agréable de porter un projet à trois et pas toute seule.

Vania Leturcq

Comment en es-tu arrivée à travailler avec d'autres personnes ?

Vania : Savina et moi avions été contactées pour travailler en tant que réalisatrices sur une série avec Artémis Productions, mais le projet n’a finalement pas abouti. Malgré cela, notre collaboration a été très saine et agréable. Les équipes d’Artémis nous ont dit qu’ils avaient beaucoup apprécié travailler avec nous, et de ne surtout pas hésiter à revenir vers eux si on avait un autre projet dans le futur. Avec Savina, on s’est promis d’y réfléchir. Et puis, comme on avait toutes les deux travaillé avec Anne, on a eu une sorte d’intuition.

Quand on lui en a parlé, elle a exprimé d’entrée de jeu qu’elle en avait assez de jouer des femmes tristes, et qu’elle avait plutôt envie de jouer une femme en colère. Et c’est resté. On a commencé à se voir plus ou moins régulièrement toutes les trois, pour brainstormer en se demandant de quoi on avait envie de parler, ce qui nous anime, ce qu’on a envie de raconter en partageant des lectures, des podcasts. Et on en revenait toujours à la condition de femme, aux droits des femmes, avec cette espèce de sentiment de révolte qui nous prend systématiquement quand on entend dire que le combat féministe est fini, et que tout va bien. Nous, sur base de nos expériences respectives et à trois âges différents, on n’a absolument pas l’impression que tout est réglé. Après, on ne voulait pas seulement écrire une série militante. Anne a apporté un livre et l’idée d’un personnage de juge dès la première fois où on s'est vues, et ça aussi c’est resté.

Le processus d’écriture a l’air d’avoir été joyeux…

Vania : Oui, vraiment. Mais il y a aussi eu des moments compliqués, et des événements importants dans nos vies personnelles à cette période-là. Je suis tombée enceinte pendant qu’on écrivait, et j'étais à dix jours environ de l’accouchement au moment de tourner le pilote. Savina et Anne ont donc fait toute la post-production du pilote sans moi. Il y a eu des moments d'ajustement aussi, parce que la vie fait que tu vis des choses en dehors du travail. Mais il y avait la place d’en parler entre nous, et c'était tellement précieux. Avoir un enfant dans ce contexte, en sachant que tes collègues continuent et que tu fais toujours partie du projet, c’est hyper apaisant.

Il faut laisser rentrer la vie et ne pas tout faire dans le sérieux le plus total.

VANIA LETURCQ

Pandore a été très bien reçue tant par le public que par la critique. Comment avez-vous vécu ce moment-là ?

Vania : Oui, la série a été très bien reçue. On reçoit beaucoup de retours très positifs. Ça change pour nous, parce qu’on ne connaît que l'expérience des films. Les longs-métrages, tu les accompagnes, tu vas dans les salles et tu rencontres un peu ton public. Là, on a reçu beaucoup de messages et c'était hyper chouette, mais on avait envie de parler directement avec les gens, pour savoir ce qu’ils avaient aimé et ce qu’ils appréciaient moins. Parce qu’on a envie de creuser les retours qu’on reçoit. Mais en tout cas, c’était vraiment une expérience nouvelle de « rentrer dans le salon des gens » avec la série.

Quels sont tes projets à venir ?

Vania : J’ai un projet de long-métrage en cours, produit par Hélicotronc, que j'avais déjà commencé à écrire avant Pandore. En ce moment, on est en recherches de financements, avec mon producteur. En parallèle, la saison 2 de Pandore a été confirmée. La proposition du concept vient d’être validée par la RTBF, donc on repart en écriture à plein temps. Comme le marché des séries la production nous demande d’aller assez vite, on est en train d’écrire une nouvelle saison de six épisodes seulement, et ça nous convient très bien !

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