Angelina Bayer est originaire d'Allemagne et vit actuellement à Sydney, en Australie. Elle y travaille comme artiste créatrice de jeux vidéo 3D chez Featherweight Games, un petit studio de gaming indépendant. En 2016, elle a commencé à étudier la production graphique de jeux dans le cadre du DAE (Digital Arts & Entertainment - un programme proposé par la haute école Howest qui permet le développement et l'accélération de start-ups dans le domaine du entertainment game development business). Elle a obtenu son diplôme en 2019, après un stage chez Ubisoft.
Les projets et les rêves évoluent et mûrissent, comme nous.
Comment avez-vous commencé à vous intéresser au DAE et à l'industrie du gaming ?
Angelina Bayer : “Je dirais que mon histoire n’a rien de très original, dans le sens où j’ai toujours joué à des jeux vidéo. Je jouais à la PlayStation avec ma soeur, on était des grandes fans de Final Fantasy. Par contre, je ne prévoyais pas de créer des jeux vidéo moi-même. Je crois que ce qui m’a motivée à commencer, c’est que je dessinais beaucoup à l'époque. J'ai toujours voulu être une sorte d'artiste, mais je ne savais pas ce que je pouvais en faire, et je ne m’identifiais pas vraiment à l’univers de l’art tel que je le percevais."
"Mon parcours est plutôt atypique. J'ai d'abord étudié les sciences sociales, puis obtenu un Master en études asiatiques modernes. Complètement par hasard, j’ai entendu parler d’une offre d’emploi dans une entreprise de gaming. Ils recherchaient un chef ou une cheffe de projet spécialisé·e dans la localisation et l'internationalisation, et qui connaissait différentes cultures. J’ai postulé, j’ai été engagée, et c’est comme ça que pendant cinq ans et demi, j’ai travaillé comme cheffe de projet pour la localisation de jeux vidéo. D'abord chez Kabam Games au Luxembourg, puis chez Goodgame Studios à Hambourg. Cette expérience a constitué ma passerelle vers la carrière d’artiste créatrice de jeux vidéo. À Hambourg, j’ai rencontré beaucoup d’artistes dont le travail me fascinait, même si je n’y connaissais absolument rien. J’étais très impressionnée par ce qu’ils faisaient et je leur posais toutes sortes de questions, surtout aux artistes 3D de la boîte.”
"Par hasard, j’ai rencontré quelqu’un qui suivait le programme DAE, Hendrik Coppens. Il m'en a parlé et je lui ai posé toutes sortes de questions sur les cours, leur contenu, leur difficulté, les conditions d'admission, … Il en disait beaucoup de bien, et ça m’a semblé être une formation très poussée. Je n'avais littéralement aucune idée de ce dans quoi je me lançais, mais je me suis dit que ça valait le coup d’essayer."
"J'ai donc démissionné et fait une pause de quelques mois avant de venir étudier en Belgique. Ça m’a appris que rien ne sert de planifier sa vie à l'avance, et que ce n’est pas grave de ne pas savoir exactement ce qu’on veut faire à 18 ans. Les projets et les rêves évoluent et mûrissent, comme nous, il ne faut pas avoir peur de changer de trajectoire. J'avais 30 ans quand j'ai commencé le DAE. J'étais l'une des étudiantes les plus âgées, et au début, je pensais que c'était un handicap. En réalité, ce n'était pas du tout le cas, au contraire, c’était autant d’années de dessin et d’expérience derrière moi."
Quelle a été votre expérience du DAE ?
Angelina : "Lorsque je parle aux gens ici en Australie de la formation que j’ai suivie en Europe, je dis que c’était un peu comme un “bootcamp 3D”. Le programme d'études est très dense et structuré, ce qui m'a donné la possibilité de découvrir beaucoup de disciplines différentes. J'ai dû faire à peu près tout ce qu’il y avait à faire en tant qu’artiste créatrice de jeux vidéo 3D. C’est un véritable entraînement, qui apprend à repousser ses limites."
"D’un point de vue humain, je pense que j'ai eu beaucoup de chance, et j'espère que les futur·e·s étudiant·e·s pourront en dire autant. Mon groupe m'a beaucoup soutenue. Je suis presque sûre que sans eux, je n'aurais pas passé d'aussi belles années. J’aime me remémorer les soirées d'étude, au cours desquelles on se retrouvait pour analyser et résoudre des problèmes. Ça entraîne les yeux, en tant qu'artiste mais aussi pour la technique : on apprend à repérer les problèmes en analysant le travail des autres. Et ça, je pense que c'est très précieux."
"En ce qui concerne les études à la DAE en tant que femme, je ne peux pas vraiment en dire grand-chose. Bien sûr, j'étais consciente de faire partie d’une minorité. Ça a toujours été clair, mais ça ne m’a jamais définie et je ne me suis jamais sentie rejetée, aussi car d'autres femmes étudiaient avec moi. Nous étions là les unes pour les autres. Mais en même temps, je n'ai pas eu l'impression de recevoir un soutien supplémentaire ou un privilège en tant que femme, ce dont je n'aurais pas voulu de toute façon."
"Il y a peut-être une différence notable que je voudrais mentionner. Il y avait des personnes comme Kristel (DAE Global & Internships) et Isabelle (Community), qui étaient toujours là pour nous. Je me souviens d’une séance avec Kristel au cours de laquelle je lui ai montré mon portfolio. Le titre sur ArtStation disait "aspirante artiste 3D". La première chose qu'elle a dite en regardant mon portfolio, c'était : "Tu dois changer ça. Tu n'es pas aspirante artiste 3D. Tu es artiste." Ça m'a vraiment marquée. C'est quelque chose que je répéterai souvent à d'autres femmes et à des femmes qui débutent dans les jeux vidéo : on est trop dures avec nous-mêmes et on préfère dire qu’on essaie des choses, alors qu'en fait, on les fait déjà. Ce sont les femmes de la DAE qui m’ont le plus inspirée et qui m’ont donné le plus de force."
Comment s'est passée la recherche d'emploi ? Qu'est-ce qui vous a menée à votre emploi actuel ?
Angelina : "Je pense que la première chose qui m'a aidée à trouver un emploi, c’était de savoir ce que je voulais faire, ou plutôt ce que j’avais envie de faire. Quand on débute, on a tendance à être prêt à tout pour avoir une chance. Mon conseil, c’est de se créer un portfolio représentatif de ses compétences et de sa créativité, mais aussi de ses aspirations et de ses envies. Par le passé, je me suis surprise à faire et à montrer des créations et compétences que je pensais intéressantes pour le potentiel employeur, mais que je n'aimais pas forcément faire. Je pense donc qu'il faut se constituer un portfolio qui parle de soi, de ce que l'on est, de ce que l'on veut faire et de ce que l'on pense être ses points forts, sans nécessairement se limiter à un domaine ou à un aspect spécifique du travail."
"J'ai donc commencé à postuler, et environ six semaines plus tard j'étais embauchée chez Blowfish Studios, un petit studio de gaming indépendant à Sydney. On m'a engagée pour un poste polyvalent où je pouvais faire et tester plein de choses pour découvrir mes points forts."
"En ce qui concerne la façon dont j'ai obtenu mon emploi actuel, c’est assez drôle. J’ai postulé chez Featherweight Games juste après avoir obtenu mon diplôme. Je les ai contactés parce qu'ils avaient un chouette jeu vidéo en développement, qui me correspondait tout à fait. Pendant l'entretien, ils m'ont fait faire un test artistique et ils ont beaucoup aimé mon travail. Je suis arrivée au dernier tour, mais ils ont fini par choisir quelqu'un qui avait un peu plus d'expérience. Mais à la fin de l’année 2021, ils m'ont recontactée car ils cherchaient quelqu'un pour occuper un poste permanent d'artiste 3D. Évidemment, j'ai immédiatement accepté !"
"Ce genre d'expérience montre à quel point le réseautage et les rencontres sont importants. Et même si ça ne marche pas une fois, qui sait, ça marchera peut-être la prochaine fois. Ça peut aller dans les deux sens : soit vous n’entendrez plus jamais parler d'eux, soit vous passerez un si bon entretien qu'ils se souviendront de vous."
Quel est l'aspect le plus gratifiant de votre travail ?
Angelina : "Je pense que le plus gratifiant, c’est de tout voir prendre vie. J'ai récemment conçu et modélisé une petite créature pour un jeu. Quand j'ai terminé mon travail, je l'ai transféré à notre animateur qui a animé le personnage et en a posté un GIF sur le chat de l'entreprise. J’ai pu voir mon personnage en mouvement, vivant. Tout voir se mettre en place, constater la fascination et la joie des joueurs, c’est vraiment satisfaisant."
Les jeux vidéos ont besoin de personnes qui posent des questions, qui sont différentes et qui veulent apporter quelque chose et pas seulement s'asseoir en réunion, rester passif·ve et laisser le temps passer.
Votre identité a-t-elle influencé votre expérience dans le secteur ?
Angelina : "En tant que femme, je dirais que oui. Je n'ai pas eu de mauvaises expériences, mais il y a eu des moments où j’aurais aimé me sentir à ma place, sans avoir l'impression d'être le vilain petit canard ou de ne pas faire partie des "mecs", comme on dit parfois dans le monde du gaming. Je dirais qu'en tant que femme, on peut apporter une perspective que beaucoup d'hommes n'ont pas, ils ne sont pas conscients de certaines choses que nous pourrions remarquer."
"Quand on crée et développe un jeu vidéo, il faut penser au point de vue des joueurs et joueuses : certain·e·s veulent incarner un personnage qui leur ressemble, d’autres préfèrent profiter du virtuel pour devenir quelqu’un de complètement différent. Il faut leur ouvrir toutes les portes possibles, et je pense que chaque artiste se sert de son talent et de sa propre expérience pour mettre les choses en scène et les transmettre à travers un jeu vidéo. C’est précisément ce qui rend les jeux plus riches et plus intéressants."