In the picture - Julie Basecqz, fondatrice de Score

Julie Basecqz
© Fabrizio Depatre

Julie Basecqz est comédienne de théâtre et cinéma, doubleuse et directrice artistique, et fondatrice de Score, une société bruxelloise de formation au doublage et à la voix off. Elle s’engage également pour les artistes interprètes chez Playright et auprès de l’Union des Artistes. Cette entrepreneuse insatiable nous a raconté son histoire et sa vie d’artiste entrepreneuse.

Tu as un parcours assez cosmopolite. Qu’est-ce qui t’a amené vers le théâtre, et ensuite vers la Belgique ?

Julie : "À 14 ans, j’ai vu le film Cyrano de Bergerac de Rappeneau avec Depardieu, inspiré de la pièce de théâtre. L’année suivante, j’étais inscrite dans une école secondaire d’excellence artistique en concentration théâtre à Ottawa! À la fin de mon cursus, pour rassurer mes parents, j’ai poursuivi mes études à l’Université d’Ottawa, mais toujours en théâtre."

"De parents belges, je venais souvent en vacances en Belgique. J’y ai connu mon premier amour. Il s’appelait Romain, moi Julie, c’était mon Roméo et moi sa Juliette. Nous avons vu ensemble la pièce « La Belle au Bois dormant», à Villers-la-Ville. Découvrir cet endroit magique a été une expérience incroyable: les ruines, le décor, les lumières. J’ai été éblouie, un tel spectacle en extérieur était possible ! Tous les comédiens du spectacle avaient obtenu leur premier prix au conservatoire de Bruxelles. J’ai pris la décision de venir étudier en Belgique au Conservatoire, d’y obtenir un premier prix et de jouer à Villers-la-Ville !"

Tu as obtenu ce Premier Prix au Conservatoire de Bruxelles en 2000, tu as ensuite entamé une carrière sur les planches. Qu’est-ce qui t’a fait rencontrer les plateaux de cinéma, et de doublage ?

Julie : "Les hasards, les coups de chance et les rencontres. J’ai énormément de chance dans la vie, mais j’essaie aussi de la provoquer ! Il est important de saisir les opportunités qui s'offrent à toi, d’être à l’écoute, ouvert d’esprit. Plutôt que de se dire, “non, c’est pas pour moi, j’y arriverai pas, c’est trop compliqué”. J’ai toujours eu cette énergie positive, cette proactivité. À ma sortie du Conservatoire, j’ai joué au théâtre des Galeries et en tournée à Lyon et Avignon. Je me suis fait pas mal de contacts. À cette époque, je croisais quelques comédiens belges qui avaient déjà un agent à Paris, ce qui était rare."

"Plus je repensais au film de Rappeneau, plus je réalisais combien le film que j’avais vu était différent d’une pièce de théâtre, avec des acteurs de cinéma, non pas des comédiens de théâtre. Quand on va au théâtre, on parle toujours du personnage: “Tu as vu l’Avare comme il joue bien ?”. Par contre au cinéma, on parle de l’acteur : « Tu as vu Depardieu ? ». Je voulais qu’on me remarque  : « Tu as vu Julie ? ». J’ai voulu tenter ma chance au cinéma. Pour avoir un agent à Paris, je devais avoir une adresse en France. C’était très compliqué administrativement. J’ai commencé par un abonnement de téléphone français, ensuite un numéro de compte puis une chambre de bonne à Paris, et ainsi de suite jusqu’à avoir un agent et mes premiers contrats au cinéma. Mon premier agent représentait d’ailleurs Omar Sharif, que je ne connaissais pas à l’époque… ma mère elle, par contre, était ravie !"

"Pour le doublage, j’ai commencé par pousser les portes des studios dès la sortie du Conservatoire. Beaucoup de collègues du théâtre faisaient aussi du doublage, grâce à eux j’ai pu rencontrer les bonnes personnes. J’arrivais toujours très tôt au studio quand je venais assister aux enregistrements. À force d’être là, je suscitais la curiosité, je me faisais remarquer. Rapidement on m’a donné l’opportunité d’un premier contrat de doublage. Être à la bonne place au bon moment et croire en soi. C’est ça la « chance »."

Oser, se dire que quand on veut on peut, avoir un bon réseau relationnel sur qui on peut compter, sont des atouts indéniables pour moi.

Julie Basecqz

"C’est devenu ensuite un peu plus compliqué à gérer car je commençais à avoir de plus en plus de contrats en studio à Bruxelles. J’ai laissé tomber ma petite chambre de bonne à Paris pour un appartement un peu plus spacieux à Bruxelles. Mais pour l’assumer financièrement, j’ai accepté de plus en plus de rôles en doublage. Pour mes castings à Paris, un ami qui travaillait chez Thalys me faisait monter en première classe. Grâce à lui, je faisais gracieusement l’aller-retour sur Paris en une journée… Toujours la débrouillardise et les contacts!"

Comment s’est passée la transition de doubleuse à directrice artistique ?

Julie : "À force de faire de plus en plus d’ambiances (foules), de petits rôles et ensuite des rôles principaux en doublage, on m’a proposé un jour de de prendre la direction artistique d’une série. Je n’ai pas hésité, j’ai accepté. C’était une nouvelle opportunité, apprendre une nouvelle facette du métier. C’était assez cocasse et impressionnant, d’être une jeune femme qui dirige les plus grands comédiens belges … J’avais vu plusieurs d’entre eux jouer dans la fameuse pièce à Villers-la-Ville. Le métier de DA (directrice artistique), c’est également beaucoup de gestion, de planning, de tableaux Excel pour gérer au mieux les convocations des comédiens. L’aspect organisationnel, gestionnaire, ne m’a jamais rebuté. Au contraire, j’y vois une occasion d’être encore plus efficace. Plus on est organisé, plus on est actif, plus d’opportunités se présenteront à nous, non ?"

Julie Basecqz

Tu as ensuite écouté ta fibre entrepreneuriale pour développer l’idée d’une boîte, Score Brussels. Avais-tu cette fibre en toi depuis longtemps ?

Julie : "Oui, je suis un peu hyperactive sur les bords (rires) ! J’ai toujours aimé gérer, organiser afin d’être plus efficace. Au Canada, quand j’étais étudiante, j’aimais travailler derrière un bar, gérer les commandes, servir les clients, être hyper efficace quand c’est le coup de feu pour que tout le monde soit satisfait. En Belgique, j’ai fait un peu d'événementiel, il m’est arrivé pour une avant-première à l’UGC de frapper à la porte du commandant de la base militaire de Beauvechain pour qu’il me prête des uniformes militaires, pour être plus réalistes."

"Oser, se dire que quand on veut on peut, avoir un bon réseau relationnel sur qui on peut compter, sont des atouts indéniables pour moi."

L’idée d’une boîte autour de la formation dans le doublage s’est imposée à toi. T’est-elle venue d’une envie personnelle, d’un besoin du marché ?

Julie: "Un peu des deux. L’idée de départ est venue d’une rencontre avec Alec Mansion durant le Festival de Cannes. L’idée de mutualiser nos compétences est vite venue sur la table: son expérience de création musicale et la mienne dans le domaine de la voix. De ce constat, nous est venu l’envie de faire un studio commun d’habillage musical et de voix."

"De par mon expérience de DA, j’avais constaté que l’on engageait souvent les mêmes voix en studio. Il me paraissait donc évident qu’une formation pour les métiers de la voix avait toute sa place. D’autant plus qu’il n’était et n’est toujours pas évident pour un comédien de théâtre sans expérience de pousser la porte des studios pour aller assister aux enregistrements, faire un essai, encore moins ces derniers temps avec la Covid. C’est bien dommage, on manque notamment de voix âgées, qui ont de l’expérience et un bon jeu."

"Grâce à ma mentalité à l’américaine, ma proactivité et mon tempérament, les formations ont vite pris forme."

J’aime être un peu comme un chef d’orchestre, mettre les gens aux bons endroits. Leur permettre de se rencontrer, tant professionnellement que sur le plan relationnel.

Julie Basecqz

Qu’est-ce qui te motive tous les jours à te lever et faire vivre Score Brussels? Qu’est-ce qui t’apporte de la satisfaction dans ce projet ?

Julie : "Les amitiés créées, c’est ce qui me plait le plus. Je fais toujours partie des groupes WhatsApp des cours du soir ou des stages de Bruxelles Formation. J’ai plaisir à voir que, des mois plus tard, les élèves continuent encore à organiser des soirées entre eux, s’échangent des pistes. Je suis fière d’avoir pu créer des complicités, des connexions entre les gens. J’aime être un peu comme un chef d’orchestre, mettre les gens aux bons endroits. Leur permettre de se rencontrer, tant professionnellement que sur le plan relationnel. D’être à la source de toute cette émulation. Toute cette énergie est positive, bienveillante et gratifiante."

Est-ce que Score fonctionne comme tu l’avais imaginée, à partir de ton modèle de départ ? Ou as-tu dû repenser l’idée de la boîte au gré de la concrétisation de tes idées ?

Julie : "L’idée de départ était de créer deux pôles d’activités, le premier pour l’habillage musical (jingle, pub, composition, etc…) et le deuxième pour la voix (doublage, voix pub, voix docu, audio description, ....). Le premier pôle n’a pas vraiment décollé. De plus, Alec et moi n’étions pas sur la même longueur d’onde au niveau gestion."

"Par contre, le département voix a fonctionné. Je le gérais seule et l’ai repris entièrement. C’est un travail quotidien. Il faut savoir être patient, il faut communiquer régulièrement sur les médias sociaux, mais aussi laisser le bouche-à-oreille faire son travail. Ne pas être trop gourmand et accepter de donner beaucoup de son temps au départ… J’ai toujours été très à l’écoute des élèves, à qui je demande systématiquement des retours. Grâce à cela, j’ai pu peaufiner l’idée de départ, compléter nos formations en fonction des demandes récurrentes. Après un peu plus de deux ans, le concept est arrivé à maturité et il est bien rodé. J’ai maintenant une super équipe de profs/coach où chacun a trouvé sa place, le domaine qui lui convient le mieux. J’ai deux très bons pédagogues et DA pour les cours du soir et la semaine de Bruxelles Formation, un autre spécialisé pour les enfants. J’ai vraiment trouvé une formule win-win entre élèves et professeurs: d’un côté offrir aux élèves la possibilité de se faire coacher par des DA actifs dans le métier et donc qui engagent régulièrement, de l’autre permettre aux DA d’entendre de nouvelles voix qui sont prêtes à travailler dès le lendemain en studio. C’est notre speed-dubbing."

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Apprécies-tu le fait d’être une cheffe d’entreprise, l’aspect de gestion de ton métier ?

Julie : "Oui beaucoup, même si j’ai un peu de mal à déléguer, à lâcher prise. Je connais tous mes élèves, je prends beaucoup de notes. Je réponds à leurs questions par mail, parfois au milieu de la nuit car c’est le seul moment où je trouve du temps libre pour pouvoir le faire rapidement. Ce qui est à bannir (rires). Comme j’ai toujours aimé gérer, organiser les choses pour être plus efficace, cela me facilite grandement la tâche. Je n’agis pas contre ma nature."

Le challenge, c’est surtout de trouver les bonnes personnes avec lesquelles monter son projet, celles en qui avoir confiance.

Julie Basecqz

Qu’en est-il du métier de doubleur.euse en Belgique : penses-tu que c’est un métier d’avenir, qui a encore de beaux jours devant lui ?

Julie : "Oui absolument. On rigole beaucoup entre nous quand apparaissent des nouveaux programmes avec des voix artificielles : on sait qu’il est impossible de rivaliser avec les émotions qu’un comédien peut transmettre."

"Avec la crise de la Covid, même si le secteur culturel a grandement souffert, cela a mis l’accent sur le besoin essentiel de divertissement. Les plateformes de diffusions ont connu un essor sans précédent ce qui, à mon avis, engendrera une demande plus importante de produits à doubler. Il reste néanmoins encore beaucoup de chemin à faire au niveau politique pour avoir un statut d’artiste un temps soit peu cohérent et un respect de leurs droits lors de la diffusion des œuvres sur les plateformes. Allez, un peu de courage politique, voyons !"

Quelle est la richesse ou les aléas de travailler dans le milieu du cinéma et du doublage en Belgique, par rapport à la France par exemple ?

Julie : "Le milieu du cinéma et du théâtre en Belgique est plus intime. On connaît les gens, les réalisateurs, les directeurs de castings, c’est un petit monde. En France, c’est tout le contraire. C’est moins accessible. Les formations aussi n’échappent pas à ce constat. Se former en Belgique est 10 fois moins cher. Beaucoup de Français viennent d’ailleurs se former chez nous et y restent !"

Julie Basecqz
© Patricia Mathieu

Entrepreneuse en Belgique : est-ce une difficulté, un challenge ? As-tu été soutenue, au niveau humain,
et gouvernemental / régional ?

Julie : "Le challenge, c’est surtout de trouver les bonnes personnes avec lesquelles monter son projet, celles en qui avoir confiance. Trouver des profils complémentaires, avoir une charge de travail répartie de manière équilibrée. Si ce n’est pas le cas, s'il faut gérer les difficultés, les problèmes et les égos de ses partenaires, cela devient vite toxique."

"Pour Score, nous avons été soutenus dès le départ par Hub Bruxelles, plus spécialement Screen.brussels. Ensuite nous avons pu développer un partenariat avec Bruxelles formation pour notre weekly master class. Celle-ci s’adresse essentiellement à ceux qui veulent faire du doublage leur futur métier. Tous nos interlocuteurs ont été super compétents. C’est génial d’avoir eu des organisations aussi disponibles."

"Pour moi, à moitié canadienne, comprendre le fonctionnement institutionnel de la Belgique est compliqué. Comprendre la logique de la régionalisation de certaines compétences n’est pas évident. Nous avons beaucoup de demandes de comédiens francophones domiciliés en Flandre et en Wallonie qui ne peuvent bénéficier de la gratuité de notre formation, c’est dommage et à ce jour nous n’avons pas encore trouvé les bons interlocuteurs pour prendre en charge des formations professionnelles pour comédiens wallons et flamands . Je profite donc de cette interview pour faire un appel (rires)."

Tu es vice-présidente du Conseil d’administration de l’Union des Artistes depuis 2017, et tu exerces un mandat au Conseil d’administration de Playright depuis 2019. D’où t’es venue cette envie d’engagement associatif ?

Julie : "Amener ma pierre à l’édifice, contribuer à une meilleure reconnaissance des métiers artistiques est important pour moi. Partager mon expérience, apporter mon dynamisme d’autant plus si cela peut aider d’autres personnes, me paraît essentiel."

"En siégeant dans ces deux conseils, j’apporte toute mon expertise à des dossiers complexes. Je suis moins dans l’affrontement et la revendication « dans la rue » mais plus dans la discussion, dans la lutte d’influence en utilisant mon réseau. Cela me correspond mieux. Mais je suis capable de me mettre à poil pour une campagne de communication si c’est nécessaire et bien géré. Une nouvelle fois, mon moteur c’est d’être efficace."

"Le secteur de la culture a été très durement touché par la crise Covid. C’est incroyable qu’il ait fallu une initiative citoyenne pour lui venir en aide. De nombreux artistes ne pouvaient bénéficier des aides de l'État. Au fond sparadrap, dont je fais également partie, nous avons eu des demandes d’aides poignantes, révélatrices de situations extrêmement précaires. Les artistes ont été les grands oubliés dans cette crise, il est temps que cela change."

"Au Canada, l’UDA, avec qui j’ai des contacts réguliers, est un syndicat professionnel autrement plus « puissant ». À titre d’exemple, ils viennent d’obtenir un prolongement des mesures de soutien du gouvernement québécois à l'égard du milieu des arts et de la culture pour un montant de 2 millions de dollars. Ils ont également entamé une réforme des lois sur le statut de l’artiste. La Belgique peut-elle faire aussi bien, si pas mieux, avec sa réforme ? Elle a bien été précurseur pour la loi dépénalisant l’euthanasie et la première au monde à l’étendre aux mineurs."

Où te vois-tu dans 5, 10 ans ?

Julie: "Je crois qu’à ce moment-là j’aurai appris à déléguer, j’imagine former quelqu’un pour reprendre Score."

"J’ai peut-être le même syndrome que beaucoup de start-up: on a une nouvelle idée innovante, c’est super grisant de voir un nouveau concept se concrétiser et commencer à fonctionner au quotidien. Mais une fois que les choses sont en vitesse de croisière, cela devient de la gestion d’entreprise classique, quotidienne. Et ça c’est plus difficile pour moi."

"J’espère faire plus de tournages un peu partout, rencontrer quelques réalisateurs belges que je ne connais pas encore, tourner un peu plus en France et pourquoi pas au Canada. J’aimerais aussi voyager, aider mon mari dans la gestion de son école de kite surf et de ses kitecamps dans le sud de la France. Et puis enfin, pouvoir faire ma cabane dans les arbres. Je pourrais y passer des week-ends sympas bien sûr, mais pourquoi pas en faire un business aussi (rires). Une école de kite surf et de doublage dans les arbres, soyons fous (rires) !"


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