Nous avons interrogé Baptiste Charles, conseiller cinéma et nouveaux médias au sein du cabinet de la ministre Bénédicte Linard, Vice-Présidente et Ministre de l'Enfance, de la Santé, de la Culture, des Médias et des Droits des Femmes.
Quels ont été les dessous des cartes des mesures mises en place pour aider le secteur audiovisuel à faire face à la crise du COVID-19?
Baptiste: "La crise sanitaire a été gérée en trois phases distinctes qui se sont succédées : d’abord la phase d’urgence, au moment du confinement ; ensuite la phase de déconfinement avec la reprise encadrée des activités, et enfin le redéploiement du secteur, avec des perspectives à plus longue échéance. À l’heure actuelle, l’évolution de la crise sanitaire en Belgique exige un monitoring régulier des impacts sur le secteur, et il n’est pas impossible que de nouvelles mesures puissent être prises dans les prochaines semaines pour répondre aux enjeux qui surviennent."
- "L’urgence : Le confinement a pris tout le monde de court, et il a fallu trouver des solutions cohérentes et efficaces à très court-terme pour répondre aux nouveaux enjeux qui se dessinaient : arrêt forcé des tournages, mise au chômage technique et temporaire des artistes et des techniciens, fermeture pour les exploitants de cinéma, avec des répercussions en cascade pour de nombreux métiers connexes : distribution, promotion, festivals de cinéma,…. La Ministre et l’ensemble du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) ont donc pris la décision de lancer un Fonds d’urgence, scindé en deux phases, afin d’apporter une compensation aux préjudices financiers subis par les opérateurs reconnus et aidés par la Fédération. Les producteurs et les cinémas reconnus Art & Essai ont pu en bénéficier, à condition qu’ils s’engagent à rémunérer en priorité les prestataires finaux, c’est-à-dire les artistes et les techniciens. Cela a pu paraître injuste pour certains opérateurs non soutenus qui subissaient des préjudices au même titre, mais dans le cadre de son mandat culturel, la Fédération n’a pas la mission ni les capacités financières de sauver les opérateurs qui ne rentrent pas dans son périmètre d’action. Les régions ont donc également joué un rôle de soutien à cet égard. Toutefois, face à l’ampleur de la crise pour les exploitants de cinémas, et à notre volonté politique de valoriser l’expérience collective du film au cinéma et l’accès à la culture pour tous, nous avons débloqué un fonds exceptionnel ouvert à tous les cinémas de proximité, qu’ils soient soutenus par la FWB ou non, afin d’assurer leur survie."
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"Au moment du déconfinement, il a fallu relancer l’entièreté de l’écosystème « cinéma » mis à l’arrêt. Pour commencer, il fallait rendre possible la reprise des tournages. Pour ce faire, il a fallu créer des protocoles sanitaires qui permettaient de rassurer les travailleurs du secteur et le public, en collaboration avec toutes les associations professionnelles. Les protocoles mis en place - l'un pour la production de films, encadrant toutes les activités sur un plateau de tournage, et l’autre pour les cinémas, permettant le retour du public en salle dans des conditions précises, ont été rédigés en concertation, grâce à la proactivité des associations professionnelles, puis soumis au cabinet Linard et au GEES (le groupe d’experts mis en place par le fédéral pour valider les protocoles sanitaires encadrant la reprise des activités). Dès le 6 juin, la reprise des tournages était annoncée, et dès le 1er juillet les cinémas pouvaient rouvrir. Mais, si légalement les tournages pouvaient reprendre, les assureurs eux ne voulaient pas couvrir le risque lié à la crise sanitaire (l’arrêt ou le report des tournages, qui peuvent vite se chiffrer en plusieurs milliers d’euros pour un producteur). Face à cela, la FWB a mis en place un Fonds de garantie complémentaire aux assurances classiques, via St’Art Invest (le fonds à impact dédié aux industries créatives et culturelles). Ce Fonds, développé avec des balises claires, a permis aux tournages de reprendre dès le 1er juillet. Ce fonds vient d’être prolongé jusqu’au 31 décembre, le risque étant toujours là. En parallèle, les protocoles sanitaires liés aux tournages exigeaient qu’il y ait un référent COVID sur chaque tournage, en charge de la gestion de ces protocoles: testing des personnes en amont, gestion du plan de travail, des allers et venues sur un plateau, mise en quarantaine,... Une formation pour ces “référents COVID” a été organisée par les régions, wallonne et bruxelloise, avec succès. À ce jour, aucun tournage n’a été arrêté ou suspendu, et le fonds St’Art n’a pas dû être utilisé."
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"Malgré la reprise des activités, un plan de redéploiement était nécessaire pour soutenir les acteurs de l’écosystème. Avec le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel, un plan de six millions d’euros a été établi, pour soutenir l’entièreté de la chaîne de création : les auteurs/autrices ; les producteurs/productrices ; et les exploitants/exploitantes et distributeurs/distributrices.
Concernant les premiers, nous avons en urgence fait passer un nouveau décret cinéma (déjà validé par le secteur avant la crise), permettant une réforme des aides à l’écriture et au développement, avec des poches de création supplémentaires pour les auteurs et autrices : doublement des aides à l’écriture, simplification des dossiers à remettre, et mise en place d’une nouvelle aide au développement artistique (phase de relecture, retravail, et recherches).
"Par ailleurs, plusieurs appels à projets spécifiques ont été également annoncés dans le cadre du plan de relance : un appel dédié aux nouveaux formats, un aux films d’animation pour la jeunesse, un pour les films familiaux,…
"Concernant les producteurs, la FWB a décidé de prendre en charge les surcoûts liés à l’implémentation des mesures sanitaires sur les tournages (testing systématique des équipes avant chaque tournage, achat de gel, de masques, engagement d’un référent COVID, réorganisation des plans de tournage avec moins de scènes tournées par jour, et donc rallongement des jours de tournage). Ce surcoût a été évalué par les associations professionnelles comme équivalent à 10% du coût global du film.
"Ensuite, pour pallier à la baisse probable des levées de Fonds Tax Shelter (estimée à entre -30% et -50%, celui-ci étant directement lié aux bénéfices des entreprises), la FWB a décidé d’octroyer une majoration de 20% à l’ensemble des films majoritaires belges tournés en 2020, qu’il s’agisse de longs-métrages, de courts-métrages, de documentaires ou de séries. Cette mesure sera éventuellement reconduite en 2021 si les budgets le permettent, car les répercussions de la crise se feront certainement sentir en 2021.
"Par ailleurs, différentes procédures ont été mises en place pour aider les producteurs à faire face à la situation : allongement des délais pour demander les agréments de films, mise à disposition sans conditions des aides aux réinvestissements,…).""Enfin, pour aider les exploitants de cinéma, la FWB a pris en charge les mesures liées à la mise en place des protocoles sanitaires dans les cinémas, et a lancé l’opération « J’peux pas, j’ai cinéma », consistant à mettre 15.000 tickets de cinéma à disposition du public pour 1 € pendant tout l’été, afin de faire revenir le public en salles. Nous avons également soutenu financièrement les distributeurs, afin de les inciter à sortir des films dans ce contexte d’exploitation limitée en salle.
"Malgré ces aides, le manque de perspectives claires pour les mois à venir, en termes de diffusion, de production, de co-production, fait que la situation reste complexe pour tout le monde. Nous sommes un petit pays, avec un marché limité, mais nous sommes très ouverts à la coproduction internationale, elle aussi mise en péril. Il faut donc inventer sans cesse de nouveaux modèles, nouer de nouveaux partenariats, et tenter de valoriser autrement ce que nous faisons de mieux : imaginer, produire et diffuser des histoires qui permettent aussi de prendre du recul, de décrypter des crises comme celle que nous vivons, mais aussi de rêver, de nous évader.
"Cette crise a également mis en lumière la fragilité de certains opérateurs, notamment les festivals de cinéma, ou les artistes et les techniciens qui n’ont pas pu bénéficier d’aides du fait de la précarité de leurs contrats.
"Une crise comme celle-ci, au-delà de sa violence pour tout le monde, doit servir d’opportunité pour améliorer certaines pratiques, apporter un cadre légal et sécurisant, et permettre un véritable « retour vers le futur » du cinéma en Fédération Wallonie-Bruxelles."
Note : cette interview a été réalisée le 12 octobre 2020.
Covid-19: update 24.10.2020 : Le 18 et le 23 octobre de nouvelles mesures de sécurité ont été annoncées qui ont influencé les règles qui étaient applicables à nos secteurs.
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