Nous avons interviewé Javier Packer Comyn, le Sécretaire Général du CBA. Le CBA est le centre de création cinématographique pour les auteurs.trices de documentaires (à Bruxelles).
Présentez-nous le CBA et votre ligne d’activités ?
Le CBA a été créé il y a plus de 40 ans, avec la volonté de soutenir les auteurs et autrices de documentaires. Il y avait une envie chez certains créateurs d’avoir plus de temps, plus d’autonomie, plus de moyens, pour faire du documentaire de création. C’était concomitant à la création des écoles de cinéma en FWB (Fédération Wallonie-Bruxelles) et d’autres ateliers de production. Nous aidons les auteurs avec des moyens financiers : nous organisons 9 commissions par an, 3 en écriture, 3 en production, 3 en finition.
Nous recevons tous les porteurs de projet qui sont dans le champ du documentaire de création. Ils nous sollicitent à un niveau artistique, pour une première lecture de leur dossier, ou s’ils ont besoin de conseils sur la professionnalisation de leur projet, c’est-à-dire comment déposer en commission, trouver un producteur, etc. Les jeunes cinéastes, on les aide également à trouver la boussole de leur projet. Les producteurs viennent vers nous avec leurs cinéastes. On a accompagné des générations de documentaristes débutants ou confirmés. Qu’ils soient expérimentés ou pas, ils ont toujours besoin de regards extérieurs. Un des enjeux du documentaire, c’est la question du rapport au monde.
Parfois, nous fournissons des conseils légaux: qu’est-ce que je peux faire avec des images trouvées sur Youtube, ou dans une caisse d’archives qu’on m’a confiée ? Qu’est-ce que le droit des images ?, …
Qu’appelez-vous un documentaire de création ?
Il y a une éthique dans la manière de faire des films. C’est un cinéma qui prend du temps, le temps de la rencontre, le temps de l’écoute, le temps long du tournage et du montage, ce qui le différencie peut-être des modes de production plus rapides du reportage, des news.
Ça demande aussi la proposition d'un point de vue, d’un regard spécifique et situé sur le monde. C’est le développement d’un enjeu, d’une vraie question, dont la réponse n’est pas nécessairement l’information. La réponse tient très fort dans un regard particulier sur une situation, un personnage, une réalité. Quelqu’un nous adresse le monde, nous amène un regard personnel sur les choses, sur sa complexité, sur la subtilité des rapports humains, sur la poésie du singulier. Les modes d’écritures sont infinis.
Souvent, ce sont des films qui filment des choses qui ne se donnent pas si facilement, qui ont besoin de temps, d’approche, de repérages, pour que naisse une question au-delà de ce qui est visible immédiatement.
Le documentaire permet d’aborder des complexités dans le monde, qui ont besoin de temps pour pouvoir se penser, se filmer, s’affirmer, mais qui ont aussi besoin de laisser du temps dans le film pour que le spectateur puisse être acteur de la co-construction de sens. C’est un espace de pensée ouverte.
On ne choisit pas les films par rapport à leur sujet. On choisit les films par rapport à la démarche, au rapport au monde que l’auteur ou l’autrice peut avoir. Et à une forme de cohérence de la proposition.
Comment sélectionnez-vous les projets en commission au CBA ?
C’est un pari. Le dépôt en écriture, c’est toujours le serpent qui se mord la queue. Pour déposer un dossier, il faut avoir écrit un dossier autour de son projet. Mais l’argent demandé permet justement de pouvoir travailler et écrire son projet. Nous sommes conscients de cette difficulté pour certains et certaines cinéastes. Nous ne recherchons pas à ce stade des projets entièrement aboutis, musclés, parfaits, mais sommes attentifs au questionnement de l’auteur ou de l’autrice, à son point de vue, à la cohérence de ses hypothèses.
On ne choisit pas les films par rapport à leur sujet. On choisit les films par rapport à la démarche, au rapport au monde que l’auteur ou l’autrice peut avoir. Et à une forme de cohérence de la proposition. Ce qui nous intéresse, c’est de savoir quelles sont les questions qu’affronte un.e auteur.trice, par rapport à son sujet. Qu’est-ce qui l’anime ? Qu’est-ce qu’il/elle entrevoit ? Quel est l’enjeu dont il/elle veut faire film ? Les questions en l’état d’écriture nous intéressent tout autant que les propositions, les hypothèses, les réponses qu’ils/elles formulent. Si les questions qui se posent sont les bonnes, on a envie d’accompagner, même si la proposition est encore balbutiante.
On est ouverts à de nouvelles manières de penser, mais on est intransigeants sur l’éthique : filmer l’autre, c’est une responsabilité qui demande beaucoup de respect, d’intelligence, de savoir-être au monde.
Suivez-vous ou vous éloignez-vous des tendances ?
La tendance pour les documentaires, c’est une tendance vers des niches. Produire un documentaire n’est pas une chose si simple aujourd’hui, et il est très difficile d’en anticiper le succès. Le temps de développement et de fabrication des films peut être de deux ou trois ans. Le rôle du producteur est de bâtir un chemin de production viable et taillé sur mesure pour le film, en évitant qu’il n’y ait un trop grand écart entre le film terminé et les attentes des coproducteurs et partenaires.
Produire un documentaire n’est pas une chose si simple aujourd’hui, et il est très difficile d’en anticiper le succès.
Vos conseils aux jeunes cinéastes ?
Se confronter à un tiers me parait important. Quand on développe un projet et qu’on est son propre interlocuteur, on omet facilement d’en questionner les points faibles et on en oublie aussi parfois ses qualités.
Trouver un producteur, qui va pouvoir financer mon film, bien le défendre mais aussi en assurer une bonne gestion financière. Les auteurs qui sont aussi leurs propres producteurs et qui parviennent à la fois à se concentrer sur leur travail de créateur et au même moment d’assurer la production sont rares. Le producteur engage une responsabilité financière sur le film mais apporte aussi cette distance critique opportune par rapport au travail du cinéaste ou de la cinéaste, et développe une stratégie de financement viable.
Il faut bien choisir le moment où s’adresser à un producteur. Consulter les catalogues des maisons de production permet en général d’en saisir la sensibilité documentaire. Parmi les producteurs indépendants, il y a les ateliers de production (Dérives, CVB, Graphoui) qui sont en partie soutenus par la FW-B dans le cadre de missions claires envers les auteurs et autrices, notamment autour de l'accompagnement des jeunes sortant d’écoles ou faisant leurs premiers pas dans la profession. Pour contacter une maison de production, il faut 2-3 pages d’une note d’intention claire, un CV, et lui partager ses travaux précédents s’ils font sens par rapport au projet qu’on porte. La plus important est de créer un premier contact, avancer pas à pas.
Le CBA, centre de création cinématographique pour les auteurs.trices de documentaires
Vous êtes auteur.trice et avez un projet de film documentaire. Vers quelle organisation se tourner ?
Le CBA (Centre de l’Audiovisuel à Bruxelles) est un centre de création cinématographique qui soutient les projets de documentaires d’auteurs et producteurs de la FWB (Fédération Wallonie Bruxelles) et tente de répondre à leurs besoins spécifiques dans un environnement changeant.Conçu sur le modèle d’un atelier il y a plus 43 ans, notamment sous l’impulsion de Henri Storck et Jean-Claude Batz, le CBA accompagne des projets à chaque étape de leur fabrication, des prémices de l’écriture jusqu’à la diffusion.
Comment le CBA accompagne-t-il les auteurs et autrices ?
L’équipe du CBA accueille les projets de films documentaires de cinéastes de la FW-B (Fédération Wallonie-Bruxelles) à tous les stades de réflexion ou d’élaboration, grâce à différentes commissions et services :
Un pôle Commission de sélection analyse les demandes de soutien financier pour des projets en écriture, développement, production ou finition. Un pôle Accompagnement et suivi de projets se place aux côtés des auteurs et producteurs dans l’accompagnement artistique des projets, leur production et leur diffusion. Un pôle Prêt de matériel et services techniques répond aux besoins en matériel de tournage, montage image et son, postproduction et services numériques. Un pôle Recherche de publics, diffusion, distribution et construction d’audience s’occupe de la diffusion et distribution des films vers tous les lieux et opérateurs contemporains de la diffusion du documentaire en Belgique et à l’étranger, et bâtit une stratégie de construction d’audience dès la mise en chantier du projet en offrant au projet expertise, visions stratégiques et outils.
Les soutiens du CBA qui peuvent particulièrement intéresser les jeunes auteurs et autrices du documentaire :
- L’aide à l’écriture, c’est-à-dire toutes les démarches relatives aux repérages et aux recherches liées à la conception du projet et à son écriture par l’auteur. Trois commissions sont organisées par an. Le demandeur peut être une auteur.trice seul.e (ou un.e producteur.trice). Le plafond maximum de l’aide est de 3750€ hors valorisation de l’apport en matériel.
- L’aide à l’impulsion: le dispositif est destiné aux projets d’auteurs et autrices aux premières étapes d’écriture et qui ont besoin d’accompagnement. Deux appels à projets ont lieu par an, trois projets sont sélectionnés à chaque appel. Les projets soutenus recevront un soutien financier d’impulsion de 1000 €, un programme d’accompagnement de 3 x 2 jours d’atelier avec 2 accompagnateurs, une aide en matériel (tournage, montage) et une journée de présentation des projets aux producteurs.
- L’accompagnement des projets et expertise: Le CBA est ouvert à toute demande d’accompagnement ou d’expertise autour de projets en cours d’écriture (lectures, conseils, ateliers), de production, de postproduction (visions de montage, etc) ou de films terminés (stratégie festival, diffusion, conseils en distribution).
- Hors dépôt en Commission, le CBA peut décider d’octroyer un soutien en matériel pour des projets en repérages, tournage, montage, mixage et étalonnage qui en font la demande. Ce soutien peut être un prêt gratuit ou un prêt à un tarif préférentiel.
- Le CBA organise également aussi trois commissions par an pour des projets en production ou en finition.